jeudi 21 mai 2009

Louis-Ferdinand Céline et les idéologies

La fascination envers Céline est telle, que l’écrivain et ses écrits furent et sont encore utilisés par toutes les catégories politico n’importe quoi; les uns le portent aux nues et les autres le vouent à l’échafaud; certains le citent; le dénaturent; le pillent; la plupart voudraient qu’il ne fût jamais né.


Il est catalogué selon l’époque et les courants qui s’affrontent. Céline fut, à un moment ou à un autre, acclamé par les communistes, les socialistes, les anarchistes, les chrétiens, les fascistes, les pacifistes, les athées, les racistes, les antisémites, les collabos, les païens, les Celtes, les indépendantistes, les elfes et les Vikings… Interchangeable, Céline a bon dos, il est présenté à toutes les sauces et poussé sous la bannière de tous les combats.


Docile et manipulable, il aurait été davantage apprécié, car, maldonne pour les agitateurs, il ne s’en réclame d'aucuns. Céline mène seul sa barque, il sent le vent et donne le coup de barre selon la course des nuages et les humeurs du temps, ce qui n’empêche pas les erreurs de navigations.


Seul sur son navire, il n’est pas pour autant hors de son temps, il vit et subit l’influence de son milieu au même titre que chacun d’entre nous. Par contre, il est plus critique, curieux et plus lucide que la majorité d’entre nous, il a cherché une explication, un dénominateur commun, une manière d’émerger d’un marécage putride avant de se laisse tenter par l’excitation politique. Il a cru avoir trouvé une clé, mais, très rapidement, las de l’incurie, il s’insurge, abandonne, retourne à sa littérature et attend le raz-de-marée.


Il se rend compte que les idéologies, sont des concepts montés en neige par des maîtres avides de pouvoir, tours de Babel doctrinaires et sectaires, semblables à toutes les religions avec leurs curés, leurs vérités, leurs rites et toutes sont imbues d’une même utopie: celle de la fin de l’Histoire et les promesses de bonheur universel.


Après sa mise au ban, il illustra fort bien son amertume en décrétant que les bibliothèques sont remplies d’idées, les encyclopédies, les universités et que toute cette somme de stupidité est d’une banalité soporifique, seule la manière de les présenter en fait l’originalité; le style est plus grand que l’idée; le style est raffiné et l’idée… vulgaire.


Il a appris de ses expériences, car, comme tant d’autres, Il a été, dans le contexte politique de l’avant-guerre, rassuré par la détermination allemande à vouloir créer une Europe nouvelle et unie devant les menaces à venir, et ce, en réaction à l’atavisme des « démocraties ». Pour beaucoup, l’Allemagne constitue alors le seul rempart valable contre cette nouvelle tempête en formation qui pousse les États vers une autre guerre qui sera encore plus terrible que la grande boucherie de 14. Quant aux soviets, son voyage en URSS lui a dévoilé la réalité de l’avenir radieux en devenir.


Devant la menace du déferlement, Céline a osé « croire » et dire qu’Hitler était le mieux placé pour empêcher la catastrophe… Pourquoi pas? Est-il immoral de prendre tous les moyens pour éviter ce que l’on croit être la pire des calamités tout en ignorant l’avenir? Les idéologues de notre époque, gonflés d’orgueil et de suffisance, se sont-ils déjà interrogés sur la profondeur de leur propre éthique? Même Staline, si méfiant, si sournois, a fait confiance à Hitler. Et nous! Nous, le bon peuple aspergé de conscience et de tolérance, qu’aurions-nous fait? Bien sûr, soixante-dix ans après les évènements, tous aurions marché au pas sur Berlin, c’est la seule réponse possible afin d’éviter les rappels à l’ordre.


Pourtant, Céline a rapidement compris qu’entre les deux clowns, celui de Brandebourg ou de la Loubianka, la différence est minime et que massacre pour massacre, Goulag pour Auschwitz, la finalité demeure la même. Combien de morts au Goulag, dans les purges staliniennes? Quinze! Vingt! Vingt-cinq millions? Personne ne le sait et tous s’en fichent éperdument. Jamais un dirigeant ou homme de main ne fut poursuivi devant un tribunal pour crimes contre l’humanité…passons. Il n’est toujours pas de mise de nos jours d’aborder de telles questions, de lever la main, de comparer, de s’inquiéter, de ne pas comprendre, Katyn! Un détail, certes… 10 000 morts sur 50 millions… les chiffres en colonnes de zéros ne veulent rien dire; les chiffres sont idéologiques, toujours… Inutile de comprendre, il faut croire.


Ainsi, pour Céline, l’Europe ne pouvait plus échapper au naufrage, l’Allemagne avait trahi sa révolution. Stalingrad devient le point de non-retour, les hordes de libérateurs bolchéviques emporteront le continent. Les nazis balayés et, à Yalta, Staline en grand vainqueur, celui qui a payé du sang de son peuple, ramasse le butin, à son tour il va piller, nettoyer et s’approprier les pays libérés par l’Armée rouge.


Quant à l’Europe de l’Ouest, en ruine, elle s’incline et demande protection, offre sa vassalité aux Anglo-américains.


Il préférait l’Europe à l’Amérique, là se trouve une partie de son crime. Il a cru à une ultime possibilité, se jeter à la tout va, brûler ses derniers navires, offrir la dernière folie pour sauver l’Europe du naufrage, d’où l’écriture des pamphlets dans un délire mythique. Peut-être se voyait-il comme un dernier païen, le dernier résistant, devant la violence des chrétiens, renversant les idoles et abattant les arbres sacrés. Céline a compris trop tard l’irréversibilité de l’Histoire, l’ordre de marche des sociétés en mouvance constante.


Aujourd’hui, il rigolerait de voir l’aboutissement de son XXe siècle et serait même surpris d’avoir tout pressenti si exactement, l’émergence des nouveaux mensonges masquant les profondes contradictions de notre pseudo pluralisme démocratique où, les nouvelles valeurs fondamentales de tolérance, de droit et de nivellement politique ne font que masquer une profonde incertitude sociale quant à l’illusion concernant la réalité de nos principes de liberté, d’égalité et de droit, dont les fondements sont uniquement basés sur le mensonge et l’injustice et, tout cela, afin que jamais ne resurgissent les anciens démons.


Alors, ses chimères, les Chinois à Cognac, les Soviets sur les Champs Élysées, l’Amérique et « l’esprit juif », le métissage sont pour Céline l’expression d’une France parvenue à la croisée des chemins. Les preuves de sa décadence et de sa fin dans l’abêtissement de la culture, dans la publicité en tant qu’art, la télévision en machine à laver les cerveaux et la superficialité de la littérature sous la marque de Françoise Sagan; une France sans saveur et sans odeurs qui s’acharne à creuser sa tombe autour de son nombril en se drapant des couleurs d’une Amérique impériale.


Il juge. Il dénonce. Il s’emporte. Il écrit et exagère toujours en se noyant dans les excès de propres à son génie. Il sait que l’avenir n’appartient plus à sa patrie qu’il aime tant et que tout le reste est du blabla et du bourre mou. En fait, si Céline peut se réclamer d’une idéologie quelconque, c’est celle de l’apocalypse, celle du cataclysme intégral, de la grande finale, celle de son monde dont il est le seul à avoir compris, prédit et décrit les derniers soubresauts; la seule fin possible lui permettant de s’offrir l’envergure nécessaire à la magnificence de son style.


Céline n’est pas raciste dans le sens propre du terme, l’infériorité et la supériorité en fonction de la race ne le concernent pas, il connaît trop bien l’humain pour tomber dans ce piège; l’humain est une ordure quelque soit la couleur de sa peau. Il pressentait les dangers propres à notre temps la globalisation, l’uniformisation, la fin des particularismes et la disparition de sa France avec laquelle il a grandi et pour laquelle il a versé son sang.


Pierre Lalanne

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