dimanche 28 juin 2009

Je confesse mon âme à Louis-Ferdinand Céline



Hugo, Balzac, des géants absolus, indécrottables face à l’histoire mondiale de la littérature. Impossible d’échapper à la mode sécuritaire de nos certitudes, de revenir, de critiquer, d’émettre des doutes sur la lourdeur et la fausseté. Des chefs-d’œuvre incontestés, embaumés dans la gloire et les honneurs et inutile de les lire tellement ils sont grands et gonflés d’orgueil, médaillés, statufiés, académisés; à quoi bon perdre son temps, suffit de les nommer pour notre satisfaction culturelle.


De nos jours, causer d’un écrivain sans l’avoir lu est preuve d’intelligence et de bon goût, le summum d’un intellectuel à l’affût, qui a autre chose à faire que perdre son temps à lire.


Il y a Zola, cet ancêtre, ce précurseur, un peu célinien avant l’heure, ce mal-aimé des biens pensants et bête noire des puristes aux mœurs irréprochables. Les Rougon-Macquart demeurent un enchantement où l’on devine une tentative d’explication de l’humanité dans un naturisme de bon aloi. Pourtant, Zola compte parmi les écrivains essentiels de l’évolution de notre « modernité ». Quant à Proust, il représente davantage le regret d’une époque bénie et le commencement d‘une littérature en fin de parcours et à bout de souffle.


Les classiques Russes, par contre, avec Gogol, Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev possèdent un sens rare de l’émotion, capable de remuer l’âme dans sa profondeur avec leur facilité à s’accaparer de l’espace et du territoire, la neige, le vent et l’immensité des paysages, sans parler d’un sens particulier pour la fête avec ce mélange de nihilisme et de foi naïve. Le fataliste slave est enivrant, il est facile d’y plonger et ne plus jamais en ressortir. Pourtant, de par sa religiosité enfantine, le classicisme russe ne permet pas de saisir et comprendre le monde dans sa véritable destinée.


Quant à nos écrivains contemporains, ils s veulent les membres de la famille élargie d’une pseudo gauche, corrompue par leur avidité envers un pouvoir qu’elle croit pouvoir contrôler et qui leur permettra de transformer la société à leur image, gavée par les bonnes intentions de leur suffisance. Ils sont les choyés d’une société à l’idéologie unique.


Enfants d’une révolution ratée et d’une République basée sur les privilèges. États, médias, critiques, élites, ils se donnent bonne conscience par une glorification de chefs-d’œuvre destinés au service de leur haute moralité, basée sur les valeurs d’une majorité dite démocrate et « politiquement correcte »…


Malraux de « L’espoir », Sartre de « La Nausée » et tous les autres oubliés et déjà littérairement morts dans leurs illusions. Gide, Mauriac, Saint-Ex, Montherlant, Martin du Gard… momifiés dans leur papier bible galimardisé, tellement leur bêtise donne l’impression d’avoir dominé l’esprit de leur temps.


Pour Camus, c’est le summum, il coince dans la gorge dès les premières pages, à désespérer de l’intelligence… À vomir dès la première dose… Et après, pour se consoler… Il faut bien lire. Oh! Il en existe d’autres, des contemporains, des centaines d’excellents écrivains, mais toujours l’insatisfaction, le vide, leur incapacité à comprendre et à saisir la triste réalité de notre évolution; tous ces livres par centaines qui dégagent une préciosité insupportable, un nombrilisme absolu. L’expression d’une France gonflée par l’orgueil de son passé et indifférente face à sa fin. Personne, n’y voit l’ouverture d’un gouffre gigantesque où s’enlisent nos sociétés dans une recherche fastueuse d’un bonheur matérialisme inatteignable.


Notre époque appartient aux héritiers de cette gauche, convaincus d’avoir réussi quelque chose de grandiose, cette élite décadente et joyeusement embrigadée dans l’esprit d’un bonheur universel basé sur les « droits de l’homme » plutôt que la justice. Cela valait la peine de sortir du christianisme pour s’enfoncer dans une nouvelle religion, recommencer le monde à partir d’une pensée basée excessivement sur de pauvres illusions de fraternité et d’égalité. Réformer le droit, humaniser le capital, ériger la production en valeur absolue.


Bien entendu, dans toute cette idéologie des bons sentiments, il hors de question de songer à Céline, il reste parfait dans son rôle unique d’incarnation du mal, le Méphistophélès de la littérature, chassé du panthéon de l’humanisme. Céline représente l’exemple de l’homme perdu ayant sombré dans une haine totale envers cette pauvre humanité qui ne demande qu’à être bonne. Vaut encore même mieux lire Hitler qui, finalement, est beaucoup moins dangereux; avec lui, on sait à quoi s’attendre.


Malgré la censure, les tentatives à le réduire à un lumpenprolétariat des lettres, l’écrivain maudit impose quand même son sens de la musique, ce lien essentiel entre les mots, les phrases et leur impact sur l’esprit. Le verbe célinien surgit de l’obscurité, telle une lune dans la nuit. L’expression de son écriture n’a rien à voir avec les concepts philosophiques ou religieux dont les élites se servent allègrement pour justifier la misère, la souffrance et l’esclavage de la condition humaine : « le monde est une vaste entreprise à se foute du monde ». Il n’a rien d’autre, dès la naissance, la mort plane au-dessus de nos têtes et attend le bon moment pour fondre sur nous et nous anéantir, c’est la seule vérité possible.


Devant, derrière, au centre, toujours l’obscurité de la mort. L’espoir du monde meilleur, terrestre ou autre est une chimère inventée par les curés et les révolutionnaires de toutes les époques. Dès les premières lignes de Voyage…, Céline pose les conditions de l’existence humaine, identique à n’importe quelle naissance… « Ça a débuté comme ça… moi j’avais jamais rien dit » (rien demandé??)… et à la fin du livre, c’est l’après, la mort, inévitable… « …qu’on en parle plus. » La vie, le destin de l’homme se résume en ces phrases, le commencement et la fin. Toute la puissance de Céline s’articule entre ces deux constats. Aucun Dieu, aucune révolution et surtout, aucune littérature, ne peut surpasser cette terrible réalité.


La finalité célinienne est un lever de soleil sur un champ de bataille, les vivants enterrent leurs morts et préparent le terrain pour la prochaine fois; car la lumière même est une illusion, puisqu’elle s’éteindra et mourra à son tour. Même Dieu est mortel, aucun autre écrivain n’était allé si loin dans l’absolu, droit au but dans le néant avec cette verve de l’apocalypse. Céline n’a aucune pitié pour ceux qui croient.


Céline a vaincu la littérature, ramené les rêves et les illusions à leur juste mesure; il a montré que nous vivons sur le mensonge et que le seul Dieu, la seule révolution possible, c’est la mort… Le reste, c’est du bourre mou.


Pierre Lalanne

samedi 13 juin 2009

Louis-Ferdinand Céline et le souffle du Verbe.

Multiple, entier et doté d’une lucidité déroutante, Céline impose sa vision de l’homme dans la hardiesse de sa langue et la marie avec les évènements de son siècle. Un tel choc dans un temps si lourd de malheurs et de détresse, que cette rencontre ne pouvait que propager une onde de choc dévastatrice. Elle se répercute jusqu’à aujourd’hui et nous frappera encore demain; l’ombre célinienne sera encore là pour nous narguer et encore plus loin, d’année en année, jusqu’à toujours, jusqu’à l’Apocalypse, comme l’empreinte indélébile d’une puissance maléfique.


L’aventure célinienne dépasse la froideur de l’analyse littéraire, surtout cette hypothèse farfelue de l’existence de deux Céline, une excuse pour en sauver un au détriment de l’autre. Nous n’avons qu’à choisir, mais lequel est le véritable Céline? Le génie ou le salaud? Le visionnaire ou l’ordure? Le prophète ou le diable? Hélas, Céline est indivisible et à prendre dans sa totalité, mixte, torturé, mais indivisible… son nom est légion.


Son souffle est rire et délire… emballement, exagération et exaltation; son Verbe est l’éclatement de l’écrit bouillonnant dans une mixture de sorcière; explosion de féérie et de soufre infernal. Céline ose affronter la langue, la déformer, la remodeler et la styliser en la raccrochant au vécu, à la misère et au destin tragique de l’Être.


Paradoxalement, l’écriture célinienne allège la prose, la parfume, la provoque et jouit de l’entendre virevolter, tourbillonner et s’élever… libre de ses chaines. Cette langue vibrante et française qu’il adore, mais depuis longtemps étouffée par la poussière soporifique des classiques collés aux fauteuils des académies et des offices.


Louis-Ferdinand Céline est un révolutionnaire d’exception, non pas un messie masochisme avec fleurs et amour de crucifié ou brandissant d’une main « Le capital » et de l’autre la kalachnikov, persuadé de pouvoir rendre l’homme meilleur. L’erreur de ces prophètes fabriqués en séries est de croire pouvoir forcer l’homme à sortir du gouffre où il est tombé depuis sa descente des arbres, il y a bien cent mille ans de ça.


Il est un véritable révolutionnaire parce qu’il s’est attaqué au Verbe et, malgré les apparences, l’a vaincu. Céline, un créateur d’univers doué d’une finesse et d’un sens de l’imaginaire hors du commun.


À partir de cette fatalité incontournable et tragique qu’est le destin de l’homme, c’est-à-dire l’absurdité de sa naissance et l’incompréhension envers a mort, il a réussi, avec sa magie musicale, à ramener le niveau de conscience à la hauteur du réel et, par le fait même, à démontrer la toute-puissance du mensonge comme expression de la pensée humaine.


Faux-semblant, dissimulé à l’intérieur d’images bucoliques destinées à masquer la réalité d’un monde fictif, emprunté, hypocrite et inutile. Céline a bien compris, qu’au bout de la pièce, à la toute fin du dernier acte, revient en force la seule vérité, le désespoir de la mort que rien ne peut éloigner… rien! Ni Dieu, ni l’illusion de mille bonheurs terrestres, c’est là… c’est le gouffre, le néant que nous offre la plume si vivante de Céline; la frigidité du vide, l’ombre d’une nuit interminable, la sienne et la nôtre… «où rien ne luit ».


Incarné, l’écrivain devient effrayant parce qu’il apparaît en justicier qui se situe bien au-dessus des conceptions primaires de notre morale de marché et de boutiquier, basée sur le droit à l’injustice. Céline représente la dernière couche de lucidité enfouie dans notre inconscient, les restes d’une vérité diluée par les lointains silences de nos origines et qui, parfois, reviennent nous hanter en guise de présage d’avenir.


Céline est un messie de l’ombre qui, pour se faire comprendre du troupeau, doit non pas le transformer, mais attaquer le Verbe qui les guide, le tourmenter et s’emparer du souffle de l’inspiration en recréant les fondements de la langue. Il doit, dans la vivacité de son imaginaire, régénérer cette langue moribonde et lui offrir un nouveau possible, une continuité dans le temps et l’espace, lui transmettre ce souffle indispensable à la diffusion de son message, le mensonge, celui existant avant tout les autres, le mensonge de naître et d’exister.


Il est donc parvenu à imposer au Verbe son propre souffle par le rythme effréné de sa langue et l’élever à la hauteur de son univers, celui de la mort, du désespoir et de l’incapacité pour l’homme d’y échapper. Autre paradoxe, car, en même temps, il redonne l’espoir en démontrant que la langue peut devenir autrement qu’académique, classique, emmerdante et réservée à une élite nombriliste minable et bien gangrenée d’autosatisfaction, qui se goinfre de dictes et de règles.


Ainsi, le désespoir célinien dissimule un mince espoir; l’espoir inconscient d’une régénérescence par la révolution contre le Verbe qu’il tente de renverser par sa fièvre musicale. Pour Céline, l’idée de la mort n’est pas incompatible d’avec l’émotion, au contraire, la mort en est l’unique source d’inspiration… les regrets, les souvenirs, les disparitions, les soupirs, l’espoir d’un retour... Tout l’imaginaire célinien est lié à la mort et non à cette vie de putasserie, épuisante, traîtresse, éphémère et infidèle.


Comment alors, pour les âmes qui refusent l’image même de la mort, ne pas détester un tel porte-parole en provenance du néant, un tel écrivain surgissant des enfers de la terre? Bien plus que de l’incompréhension, ils sont saisis de terreur, de haine et de mépris à seulement tenter de prononcer son nom. Alors, pour ce qui est de le lire…


De tels exemples, dans l’histoire de la littérature, l’exemple d’un écrivain pourchassé par autan de haine pour ses écrits et encore plus loin après sa mort, n’existent pas. Aucun « pardon » n’est possible pour celui qui cherche à briser les certitudes d’une pensée plus que millénaire, normée et acceptable par la totalité du troupeau.


Alors, la question, pour les élites d’aujourd’hui n’est pas de s’abaisser à reconnaître la réalité de la révolution célinienne, mais plutôt de comment s’organiser et s’entendre pour nier la déstabilisation du Verbe; comment étouffer l’écho de ce cri si terrifiant qui menace la certitude rassurante, que leur avenir est illimité?


Sade, peut-être, se compare à Céline, victime de son temps et de ses délires embastillés… Charanton et autres maisons de fous jusqu’à sa mort. Sade, pareil à Céline… « d’une prison l’autre ». Vingt ans à hurler contre l’incompréhension des hommes et l’injustice de sa condition de génie de la langue contre le Verbe. Ses livres, pendant 150 ans étouffés sous un silence de plomb… puis, soudain, la Pléiade par obligation, comme un remord, mais Sade demeure haï et incompris par la plupart.


Il a drôlement secoué l’inertie de son siècle à terrifier autant les pouvoirs en place qu’avec les révolutionnaires, qu’il dépassait de plusieurs têtes… pareil à Céline avec ses socialismes, ses fascistes et ses communistes, seul contre tous, sans étiquettes sinon ce souffle commun, attaquant le Verbe. Des visionnaires qui avaient parfaitement senti l’incontournable finalité de la mort et du désespoir.


Pierre Lalanne


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