dimanche 12 juillet 2009

Louis-Ferdinand Céline et l'idée de la mort



L’idée de la mort est présente dans toute l’œuvre de Céline; elle en est sa principale source d’inspiration, le point de départ d’un cheminement littéraire hors du commun. Au cœur du mystère de la mort, il puise force et courage pour un voyage périlleux traversant la nature humaine; périlleux, mais nécessaire pour affronter la vérité du monde, vision de prophète qui transgresse sa pensée jusqu’au délire des mots et de leur magie. Céline récite de longues suites de formules incantatoires afin de conjuguer le mauvais sort.

Comprendre la mort et sa malédiction… entreprise hasardeuse pour un homme aussi seul, vulnérable et angoissé par le destin tragique de l’humanité, résigné par l’habitude de subir leur propre folie. Céline consacre la puissance de son mysticisme à percer le secret des ombres, responsable des malheurs de son siècle; il en prédit les d’horreurs, mais en il paiera amèrement la note pour trop de lucidité.

Pendant toute sa vie, il côtoie cette mort à la fois terrible et sublime, navigue entre ses récifs et en longe les rives insondables. Il cohabite avec le néant, force l’obscurité, subit le silence, assume seul les risques, dénonce, prévient et accumule les haines. La sorcellerie de l’écriture célinienne est le résultat de cette recherche intime, un foisonnement d’émotions, un grouillement de fantômes et d’êtres étranges, un tâtonnement dans la nuit éternelle, la rencontre de spectres au détour de sentiers tortueux et d’enchevêtrements où le délire mystique se mêle à l’absurdité de l’existence.

Très tôt, il affronte cette mort dans sa représentation la plus terrible, la rencontre est directe et sans nuances; il apprend que « la raison d’État » ne fait pas dans la dentelle… Le choc! La guerre! L’esprit du temps! L’image de la réalité est cruelle et d’une absurdité complète. Il apprend, contrairement à la propagande habituelle des élites, que la guerre n’est pas un jeu de salon, parades d’uniformes, femmes, bénédictions et revues à cheval sur la grande place; celui qui crève là-bas n’a rien d’autre à gagner que l’oubli.

Sur le terrain, c’est pire que dans les histoires, la terre est nue, labourée d’obus, les arbres, les villes; la campagne enlisée dans une boue de sang et de putréfaction; tout cela n’est que recommencement et justification aux temps figés dans la mort. Fort de sa sensibilité, Céline entre dans la danse macabre par la guerre et la certitude de ses mensonges et de ses fausses promesses : la der des ders, la liberté, la démocratie, les valeurs, la morale, Dieu avec nous, le drapeau, la République, le courage, la gloire… le mensonge et la guerre toujours… une n’attend pas l’autre, indéfiniment, des siècles et des millénaires ainsi à se taper dessus.

La guerre et seulement la guerre, suffisance des généraux, complicité du politique et des curés… cette grande marche des civilisations, cent fois chantées par ceux qui restent et avivent le besoin de chair.

Puis, médecin, Céline constate la guerre des jours ordinaires, sa triste banalité, bouffer, produire, procréer avorter, la maladie, la vieillesse, la souffrance… encore crever… La mort en tant que moteur des sociétés… l’économie, la séduction, l’apprentissage, la médecine et même l’écriture, une bataille constante entre l’encre et le papier « sa peau sur la table » et au bout de tout cela, la nuit célinienne, éternelle, celle de chacun d’entre nous.

L’homme n’est pas un être de vie, mais de guerre, c’est-à-dire de mort. Là est la seule vérité; la finalité et nul n’y échappe.

Cette évidence est pourtant inacceptable aux yeux de l’ensemble et d’autant la refuse d’où une banalisation de l’acte de mourir et le refus de le considérer comme une normalité permanente. Comment réagirait Céline avec notre immortalité du moment présent où demain n’existe pas?

Le modèle Ford de Voyage est le pâle prélude à l’exclusivité de l’éphémère, la consommation ultra rapide et répétée à l’infinie, à la chaine, offrir l’illusion d’une vie trop bien remplie pour ne pas s’arrêter à songer à l’état de permanence de la mort. La nier, elle est devenue le taboue le plus importants de la vie, un non-sens absolu et un refus de la réalité.

Comment écrirait Céline, aujourd’hui sur la mort, la vie et ses mensonges?

L’humain ne meurt plus, il quitte le monde, part en voyage, traverse un long couloir attiré par une lumière, blanche et éclatante… une multitude d’élucubrations et de faux espoirs que Céline n’a jamais ressenti. Il a fréquenté la mort de trop près pour se farcir de rêveries religieuses sur l’éternité paradisiaque, la réincarnation ou l’intégration d’une énergie spirituelle liée à un grand tout féérique; sorte d’univers spectacle télévisé, big-bang, feux d’artifice et supernova en trois dimensions.

En fait, l’idée de la mort est devenue libérale et démocratique, la dernière étape du consommateur consciencieux de son importance et satisfait d’une vie passée à entretenir l’éphémère. À la fin, le moribond peut choisir parmi des dizaines d’options possibles, selon la mode du moment, le type d’éternité qui lui convient. Peu importe, il en a le droit et ne pourra revenir accuser les vendeurs de rêve de charlatanisme.

Plus que jamais, l’œuvre de Céline apparaît comme incontournable, elle replace la mort dans une juste perspective, c’est-à-dire au centre de la vie. Il en fait la seule vérité possible; la vie, l’existence, le bonheur, est le plus grand des mensonges, la plus grande supercherie. Dès la naissance, il n’y a pas d’autres options que la mort, toujours à venir, menaçante et Céline ne peut accepter que d’autres refusent de l’admettre, de voir la réalité… assurément par lâcheté, croit-il. Pour lui, la « grande faucheuse » n’est nullement un mythe, que l’Ankou, chaque nuit, remplit sa charrette de passagers et, la seule certitude est qu’il reviendra demain et encore après, jusqu’au moment où il s’arrêtera devant sa porte.

Pierre Lalanne


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